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Quand on ne peut pas dessiner.

9 Janvier 2019, 22:08pm

Publié par judithgueyfier.over-blog.com

Aujourd'hui, j'ai pris mon carnet et ma trousse, déterminée à dessiner ce qui se passe devant le DEMIE. Pour raconter, montrer. Mais je n'ai pas dessiné, enfin j'ai commencé, mais il y avait trop de peurs, trop de questions, de besoin de parler... Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive depuis que je dessine sur ce terrain là, celui du rejet, du cynisme, de la maltraitance. Carole Chaix et Anouk Migeon ont vécu la même chose, au même endroit. C'est trop en fait, ce qui se passe, sous nos yeux, dans les échanges, et il devient compliqué parfois, de dessiner, malgré tout.

Ce matin, j'ai rejoins la maraude des Midis du Mie, association qui apporte son aide aux Mineurs Isolés Étrangers (informations, repas, hébergement d'urgence).

J'y suis allée pour apporter des fournitures chaudes (grâce aux dons fait à Encrages) et dessiner pour raconter.

Arrivée trop en avance, je m'engouffre dans le café du coin, je regarde les mineurs isolés déjà là, qui attendent devant le DEMIE.

Le DEMIE est un service de la Croix Rouge, qui évalue les jeunes sur leur histoire, et est en charge de déterminer leur minorité pour la Mairie de Paris. Si ce service évalue un jeune comme étant mineur, il sera alors protégé par l'Aide Sociale à l'Enfance. Si on le déclare majeur, il est "rejeté", et se retrouve à la rue.

Pour rappel un enfant de nationalité française ou étrangère a le même droit à être protégé.

Entre dans le café un gamin, grelottant.
Il a des yeux immenses et grands ouverts, d'une étrange façon.
Si je devais dessiner des yeux effarés, effrayés, ce seraient ceux là.
Il commande un café, et s'assoit à côté de moi.

Très vite on discute, il est arrivé à Paris le 31 décembre, il vient se présenter au DEMIE pour la première fois.

Il parle très mal français, il est perdu. Il a 15 ans.

La suite est à lire ci dessous, avec les mot d'Avril des Midis du Mie.

Ce soir Amara est dans un gymnase glacé, il ne comprend pas sa situation, il me supplie de ne pas le laisser là bas.

 
 
 
 
Quand on ne peut pas dessiner.

Texte de Avril, des Midis du Mie

"« Mais madame, pourquoi ils nous mettent là ?? Tu peux m’aider ? Je peux pas rester là s’il-te-plaît ». J’ai tellement de mal à trouver une réponse. Je ne peux pas aider. Le jeune homme qui me parle, 15 ans, maigre comme un clou, grelotte de froid. Il a été « mis à l’abri » en attente d’évaluation de sa minorité (dans un mois). Comparé à ceux qui sont rejetés à la rue sans même un entretien, ou juste après une seule nuit, il est « chanceux ». Et pourtant.

Des dizaines de jeunes sont actuellement « mis à l’abri » dans des gymnases mal ou pas chauffés, il y fait très froid. Les lits au sol sont minuscules, les couvertures très fines. On les envoie manger à l’autre bout de la ville, parfois sans ticket, ils arrivent tard, il n’y a plus rien. Le matin, tôt, avant 8h, on les met dehors. Ils ne peuvent pas revenir avant le soir. Ils sont peu vêtus, les chaussures sont trouées, ils n’ont d’autre solution que d’arpenter les rues jusqu’au soir. Souvent, ils ne savent pas lire. Très jeunes, ils n’ont aucune ressource pour se mettre à l’abri.

Ce soir d’autres continuent à appeler les bénévoles pour qu’on ne les laisse pas là-bas, où il fait presque aussi froid que dehors, où l’on doit dormir par terre. Ces jeunes rêvaient d’être admis, de mettre au moins un pied dans une procédure de reconnaissance. Il faut y aller très fort pour qu’ils veuillent à ce point en partir.

Evidemment la question taraude : POURQUOI ? L’une des plus riches capitales de l’Europe n’aurait donc pas les moyens de donner des couvertures correctes à ces ados que nous prétendons, pourtant, les chanceux, « accueillir » ? De chauffer un abri ? D’offrir des chambres plutôt que des gymnases ? Quelle raison politique initie ces décisions ?

Toujours est-il que ce matin, les gamins sont tous gelés, qu’ils soient à la rue ou « mis à l’abri », donc.

Nous distribuons les dons offerts par l'association Encrages (merci !!) : bonnets, gants, tours-de-cou, chaussettes, sweats en polaire : c’est la ruée, mais chacun peut avoir son vêtement ou accessoire bien chaud. Judith, qui apporte le don, voulait croquer la scène au crayon, mais elle est happée par le flot des sollicitations et, avec nous, écoute, note, conseille. Trois nouvelles bénévoles, après un petit moment de perplexité face au nombre et à l’état des gamins, Alice, Marine et Anne, retroussent leurs manches. Elles aussi ont apporté blousons, chaussettes, pulls, bienvenus avec ce froid. Tout part très vite, on doit agir rapidement pour ne pas être débordées et, surtout, donner les articles à ceux qui en ont le plus besoin.

Nous ne sommes pas trop à 5 ce matin, face à la soixantaine de jeunes, que le thé bien sucré, les gâteaux et les fruits réconfortent un peu. On sent l’épuisement, la colère, l’incompréhension. Nombreux sont ceux qu’on a « mis à l’abri » une nuit, mais sans aucun papier de RDV ou de refus, leur disant « reviens demain ! ». Nombreux sont aussi les refusés, que nous orientons vers des associations et à qui nous recommandons, surtout, de revenir nous voir.

A l’abri derrière leurs murs, les personnels de La Croix-Rouge continuent à faire entrer les MIE au compte-goutte. Reviens demain… Cet après-midi… plus tard…
Quel enfer."

Avril.

Pour aider les Midis du Mie, c'est ici :

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